Une journée à l’aumônerie
Aujourd’hui je me propose de vous emmener avec moi au CHU de Liège. Depuis le mois de mai 2017, j’y travaille à mi-temps comme responsable de l’équipe d’aumônerie catholique.
Sur le chemin pour me rendre à l’hôpital, je fais le plein de vie : les bonnes nouvelles entendues, la nature, une bonne musique, ma prière personnelle du matin… Entrer dans l’hôpital est pour moi tout un rituel : « Bonjour Noël (c’est le bénévole à l’entrée des Urgences), comment va ta maman ? », passer dire bonjour à Jocelyne (sa fille se marie dans 2 jours) … tiens André (le monsieur qui remplit les distributeurs de boissons) n’est pas là ce matin…
Dans ce grand labyrinthe qu’est le Sart Tilman, notre bureau est facile à trouver. Il est situé route 1… un clin d’œil de Dieu ! Je regarde le cahier pour voir les patients à visiter et l’agenda pour voir les notes de Jehanne, ma collègue venue la veille.
Je passe en orthopédie où Sœur Maria est hospitalisée. Quelqu’un de l’équipe essaie d’aller la voir tous les matins pour lui apporter la communion. Elle est un peu, beaucoup perdue mais garde un grand émerveillement face aux événements de la vie. Aujourd’hui elle me parle des bénévoles, de la beauté de donner du temps pour les autres… de façon répétitive. Elle se calme au moment de prier ensemble, elle semble tout apaisée par la communion.
Je passe ensuite par les soins intensifs. Je reste un moment auprès de Steve, un jeune de 23 ans qui est dans le coma suite à un accident de moto.
Dans la chambre d’à côté, il y a Franck. Je suis la seule visite qu’il aura de la journée, si on excepte le personnel soignant. Franck, il ne sait pas dire pourquoi, mais ça lui fait du bien de parler à quelqu’un de l’aumônerie. Il est loin du cliché qu’on se fait du « bon catho »… très loin, il le dit lui-même puisqu’il ne cache pas qu’il a été incarcéré à Lantin. Nous parlons ensemble de souffrance et d’espérance…
Un peu plus loin Marco est sous oxygène. « Si je comprends bien, me dit-il, vous êtes comme un curé ? » Lui est musulman, sans papiers pour rester en Belgique. Il envisage déjà sa sortie, sa femme qui a besoin de lui et l’incertitude du lendemain.
La matinée se termine et je me rends à la salle de recueillement située au rez-de-chaussée, juste à côté des bureaux de la direction. Toute la journée, des patients et des visiteurs viennent y faire une halte. Je m’y arrête pour lire les derniers messages du cahier d’intentions. Parfois les gens y inscrivent leur demande, comme Maria, cette maman SDF, qui – il y a quelques semaines – voulait le baptême de sa fille de 3 mois qui allait être placée en pouponnière. Aujourd’hui rien de ce genre… mais 1 fleur déposée sur la table témoigne d’un passage, d’une demande ou d’un merci. Je n’en sais rien mais cette fleur me touche. Je me pose aussi quelques instants pour prier et confier à Dieu tous ceux que j’ai croisés. Je me sens toute petite, impuissante face à tant de souffrances… je ne peux qu’être là… simplement.
Je mange au restaurant du personnel, près d’une fenêtre… toujours ce besoin pour moi de faire le plein de vie pour ensuite pouvoir la partager sans m’épuiser… Une infirmière d’oncologie s’arrête à la hauteur de ma table pour me parler. Mariette, une habituée, demande de me rencontrer. Elle est régulièrement hospitalisée pour des séances de chimiothérapie. Elle et moi, nous partageons un secret : lors d’une de ses hospitalisations, elle a dû être en isolement et « J’ai passé une médaille miraculeuse en fraude, ma sœur. Dans l’isolement je n’aurais pas pu l’avoir… ». Du coup, la fois suivante, j’ai demandé à une infirmière de stériliser une médaille miraculeuse et une prière à la Vierge de la rue du Bac. Depuis un lien spécial nous unit toutes les deux. Aujourd’hui Mariette n’est pas très en forme : beaucoup de nausées et une grosse extinction de voix. Elle est contente de me voir… Elle chuchote… Dieu est sa force dans l’épreuve… Marie au pied de sa croix… C’est beau, je reste là à écouter…
Autre service… Ici c’est François, un monsieur âgé couché dans son lit, le regard tourné vers la fenêtre. Nous ne nous connaissons pas mais, comme je vais à la réunion pluridisciplinaire d’oncologie, les médecins m’ont demandé d’aller le voir. Je me présente, il semble ailleurs. Je lui demande si je peux m’asseoir, il se tourne vers moi et me sourit en indiquant une chaise. Nous restons là un bon moment en silence. Finalement il se met à me parler, doucement, tout doucement. Avec les années et face à l’immensité du ciel, il se sent tout petit et croit au plus profond de lui que Quelqu’un de plus grand existe. Si c’est Dieu, il n’en sait rien, il n’ose pas mettre un nom sur Celui qui l’a créé. J’écoute un long moment… jusqu’à ce que sa fille rentre dans la chambre. Il se mure à nouveau dans le silence, et elle parle, elle parle, elle parle pour combler ce silence. Je lui donne rendez-vous la semaine prochaine, il sourit de nouveau.
Les visites s’enchaînent… Je termine par la chambre d’Huguette qui m’attend avec impatience, assise au bord de son lit. « J’allais t’appeler, me dit-elle, j’ai besoin de parler… » Huguette se bat maintenant contre son 5ème cancer, beaucoup de galère et de solitude. « Quand je viens à l’hôpital, je sais que j’ai besoin d’une aide spirituelle. Je demande toujours le passage de l’aumônerie, ça me donne force et courage. » Elle ne dort plus la nuit, alors elle bricole : des petits trains qu’elle donne au service de pédiatrie par exemple. Elle parle, elle parle de son état de santé, de son inquiétude de la vie, de l’importance de la foi pour elle. Elle ne se sépare jamais de sa petite statue de la Vierge qui est posée sur sa table de nuit.
Sa voisine de chambre, Agnès, c’est tout le contraire : une petite femme discrète, taiseuse même. Elle dit qu’elle ne sait pas prier… Pourtant quand je lui ai proposé de se joindre à Huguette et à moi pour prier et recevoir la communion, elle a souri et accepté. Depuis elle dit que la prière lui apporte un sentiment de paix et une impression de force qu’elle n’avait jamais ressentis avant. Nous prions toutes les trois, nous confions à Dieu les malades et le personnel de l’hôpital… Je les quitte après leur avoir donné la communion : « Je vous laisse avec Jésus… »
Impossible de vous raconter chacune des visites, tous ces visages rencontrés au détour des chambres ou dans notre bureau, les coups durs du personnel aussi… Mais voilà un morceau de vie partagée au CHU, en recommandant à vos prières toutes ces personnes visitées.