Ma vie en EHPAD – Témoignage
Au cours de mes 72 années de Fille de la Charité, j’ai vécu plusieurs changements. Chaque fois, il faut quitter un service apprécié, une communauté qui s’est constituée au long des jours, des liens d’amitié qui se sont développés.
Mon arrivée dans un EHPAD, la résidence Jean XXIII à L’Haÿ-les-Roses, a provoqué les mêmes effets, les mêmes réactions. Ce sera le dernier des changements. Comme toujours il m’a fallu prendre connaissance des lieux, apprendre à connaître les sœurs de ma nouvelle communauté, comprendre le fonctionnement des multiples personnes qui travaillent en cet EHPAD.
Ma première impression fut celle d’avoir perdu ma liberté. Tout est réglé depuis le matin jusqu’au soir. Tout est prévu : les repas, la distribution des médicaments et les différents soins, et aussi les animations. Plus de courses à faire, plus de cuisine à préparer, plus de linge à laver… Que vais-je faire de mes journées ? Peu à peu, je perçois que ma liberté n’est pas dans le faire, mais qu’elle se situe aussi dans la relation. Et en EHPAD, je découvre les multiples relations possibles avec les résidents et le personnel très varié. J’ai toute la liberté de développer ces relations.
Une question importante me bouscule. Comment vivre en servante des pauvres alors que, du matin au soir, je suis servie ? Suis-je encore vraie Fille de la Charité ? Peu à peu, j’entends Vincent de Paul qui me susurre à l’oreille : « Tourne la médaille ». J’étais servante et je servais les démunis. Et maintenant je suis le démuni que d’autres servent. Ils mettent en pratique l’Évangile de Matthieu : « j’étais malade et tu m’as soigné, j’avais faim et tu m’as nourri ». Dans son encyclique Fratelli Tutti, le Pape François développe la parabole du Bon Samaritain : celui qui est le prochain du pauvre peut devenir et accepter d’être à son tour le pauvre que son prochain soulage.
La vie communautaire est difficile du fait des handicaps plus ou moins importants et variés. Comment se comprendre lorsque les oreilles ne fonctionnent plus ? Comment lire un texte d’Évangile lorsque les yeux ne fonctionnent plus ? Comment se souvenir de ce qui a été dit lorsque la mémoire n’enregistre plus. Et pourtant il est important de se retrouver, peut-être que nous devenons comme les vieux ménages qui vivent intensément côte à côte au coin du feu sans se parler.
La prière en commun est difficile à réaliser. Le matin nous prions les Laudes individuellement. Nous pouvons vivre la messe ensemble, sauf en ces périodes de confinement. Durant de longues semaines, la prière des Vêpres a été difficile, une cacophonie. Actuellement nous avons une paisible prière.
L’EHPAD est pour moi comme un quartier de banlieue. Dans cet espace, se côtoient tous les milieux sociaux : du médecin et ingénieurs à la femme de ménage en passant par les institutrices, les infirmières, les commerçants et les anciennes sténo-dactylos. Participer à la vie de la résidence, rencontrer les résidents est pour moi essentiel. Les paroles de la Mère Guillemin reviennent souvent à ma mémoire.
Elle demande de passer :
* d’une situation de possession à une situation d’insertion
* d’une position d’autorité à une position de collaboration
* d’un complexe de supériorité religieuse à un sentiment de fraternité
* d’un complexe d’infériorité humaine à une franche participation à la vie
* d’un souci de conversion morale à un souci missionnaire. »
Chaque semaine, je participe à un groupe de paroles, un atelier chant, un groupe équilibre et un groupe floral et, récemment, à un petit groupe de partage de l’Évangile. Ces ateliers favorisent les échanges entre nous quelles que soient notre culture, nos religions, nos convictions politiques. Je vais aussi au Loto, ce qui me permet de rencontrer d’autres personnes et parfois de les aider à placer leurs points.
J’essaie de faire attention aux résidents qui sont seuls, sans famille, sans aucune visite. Parler est essentiel à l’équilibre.
Malgré toutes ces richesses vécues dans cette résidence, il m’arrive de traverser des moments de lassitude, de morosité. Je suis assise dans mon fauteuil, amorphe, incapable d’agir, et même de réfléchir. Plus tard, je m’interroge sur les raisons de ce mal-être ; peut-être un coup de fatigue ? une contrariété ? une morsure du handicap ? Le deuxième remède consiste à aller visiter des résidentes qui sortent peu de leur chambre car elles sont en fauteuil roulant. Je les écoute, elles parlent de leur état de santé, de leurs inquiétudes. Elles parlent aussi de leur famille parfois avec joie, d’autres fois avec tristesse, et j’écoute attentivement. Il nous arrive de partager nos impressions sur les différentes animations auxquelles nous avons participé. En revenant dans ma chambre, je me sens ragaillardie. Ces résidentes sont devenues le Bon Samaritain qui, inconsciemment, a pris soin de moi et m’a remise debout.
La vie en EHPAD recèle de nombreuses richesses qui se découvrent au long des jours et nous permettent de bien vivre. Malgré les passages à vide, elle permet de nous acheminer vers la rencontre du Dieu Amour.
Sœur Elisabeth CHARPY, Communauté de L’Haÿ-les-Roses, Résidence Jean XXIII
Note : Cet article a été préparé en duo. J’ai écrit ce texte. Ne pouvant relire ce que j’écrivais j’ai utilisé l’assistant vocal. Il relisait le mot que je venais d’ écrire. Si ce que j’entendais n’ était pas ce que voulais, j’effaçais le mot et je recommençais.
La rédaction terminée, j’ai envoyé par mail le texte à Sœur Yvette pour correction. Elle a de bons yeux. Mais pour écrire, elle ne peut utiliser qu’un index. Elle a donc recours à la reconnaissance vocale.