LES SYNDICATS CHEZ LES FILLES DE LA CHARITE

En 1902, Soeur Marie MILCENT (1), Fille de la Charité de Saint Vincent de Paul, fonde rue de l’Abbaye à PARIS, les trois premiers Syndicats féminins : le Syndicat des « Institutrices privées », le Syndicat des « Employées du Commerce et de l’Industrie », le Syndicat des « Ouvrières de l’Habillement ».

Elle rencontre des oppositions mais son sens aigu des besoins de son temps lui dicte de poursuivre. Elle s’inspire de l’Encyclique RERUM NOVARUM (2) du Pape Léon XIII, et se voit encouragée dans ses initiatives par des Catholiques. 

Très vite d’autres Syndicats voient le jour : en 1904, celui des gens de maisons, « Le Ménage », et en 1909, celui des « Gardes Malades », en 1913, celui des « Maîtresses Ménagères ».

Elle y adjoint d’autres services : Ecole ménagère normale, Caisse mutuelle des retraites, Ateliers pour chômeurs, Restaurants, Maison de repos. Puis sont fondés les Syndicats d’Ouvrières de l’Industrie et de la Parfumerie. En province, des groupements parallèles s’organisent. 

L’isolement de ces travailleuses entraîne un esprit individualiste. A mesure que s’éveille la notion corporative, les Sœurs s’effacent discrètement. Soeur Marie veut que les associations professionnelles soient pleinement autonomes. Elle laisse la direction et l’administration à des laïques tout en les stimulant et se réserve les conférences destinées à former l’esprit syndical et mutualiste. Toutefois, elle reste proche de l’action et prompte aux démarches que facilitent ses relations.

Le soin de former les travailleuses permet d’élever le niveau professionnel : cours de préapprentissage, des concours de broderie, de lingerie, de couture ; des certificats d’aptitude professionnelle entretiennent l’émulation, tiennent en éveil les consciences leur apprenant à aimer leur métier. Elle publie un journal mensuel : « La Ruche syndicale », organe des travailleuses fédérées. Il est destiné à répandre l’idée d’association et d’aide mutuelle et à faire connaître les nouvelles intéressant les syndicats. Pendant la Première Guerre Mondiale, elle fait partie du « Secours National » auprès du grand Rabbin et de l’Archevêque de PARIS.

En 1917, elle est appelée à une réunion des Filles de la Charité, Visitatrices, pour faire une communication sur le rôle des Syndicats. Les points traités sont : « la semaine anglaise et la fixation du tarif des heures supplémentaires, la valeur professionnelle des adhérents assurée par des cours, l’administration d’un Syndicat, la formation avec le concours de personnes compétentes pour se pénétrer de l’idée syndicale. »

Elle incite les Sœurs à prêter des locaux pour les cours du samedi ou du dimanche et à encourager les jeunes de leurs « ouvroirs » (3) qui ont plus de 16 ans à se syndiquer. Lorsque en 1921, la Maison Mère la décharge de cette lourde tâche de la direction morale des syndicats, elle se tourne de plus en plus activement vers les ouvrières à domicile dont la pénible situation, durant les années de guerre, ont déjà retenu sa sollicitude.

Du lundi 20 au dimanche 26 septembre 1926, se déroulent « Les Journées Sociales de Gentilly ». Des jeunes filles et dames syndiquées de toute la France répondent à l‘appel de la Communauté pour des exposés et des échanges sur la doctrine sociale et l’action syndicale.

Lorsque Soeur Marie décède le 24 février 1927, les Syndicats féminins de l’Abbaye regroupent vingt mille femmes. En ce début du XXème siècle, elle a entrepris une croisade pour l’organisation du travail féminin. Avec son expérience d’éducatrice et son souci de faire bénéficier les travailleuses de formations, elle laisse le souvenir d’une Fille de la Charité aux grandes initiatives d’action sociale. Sur son bureau sont ouverts deux livres : « l’Evangile » et « Rerum Novarum ».

Aux actions de l’Ecole, des Patronages, du Rayon Sportif Féminin, succède l’action professionnelle avec la Ruche syndicale !

  • Née en 1855, entrée chez les Filles de la Charité en 1883. Enseignante rue Caulaincourt à PARIS de 1884 à 1896, appelée par la Supérieure générale au « Bureau des écoles » à la Maison Mère de 1897 à 1902, elle est chargée de la Direction des Ecoles et de la refonte complète des livres scolaires. Les écoles sont fermées par la Loi laïque en 1904.
  • Rerum Novarum : texte inaugural de la doctrine sociale de l’Eglise catholique publié le 15 mai 1891.
  • Ouvroir : lieu où se rassemble des filles pour effectuer des travaux de couture.

Une autre Fille de la Charité appelée à fonder des Syndicats en Province au MANS (Sarthe)

Au lendemain de la Guerre 1914, de nombreuses femmes sont obligées de gagner leur vie avec un salaire de misère. Quelques femmes s’adressent à leur Evêque. Mgr GRENT demande une Soeur à la Supérieure générale des Filles de la Charité. En 1919, Soeur Catherine BERBIGIER est alors envoyée au Mans pour fonder un Syndicat Féminin. Le Syndicat des Dames Employées est organisé le 2 août, puis le Syndicat des Infirmières 15 jours plus tard. Les réunions sont au 14 rue du Docteur Leroy, dans une salle prêtée par le Père de FORCEVILLE qui s’occupe du Syndicat masculin. Quelques années plus tard, le Syndicat des Ménages est fondé. Le groupe syndical grandit rapidement. L’immeuble voisin 18 rue du Docteur Leroy est loué. Tous ces Syndicats sont affiliés aux Syndicats Féminins de l’Abbaye à PARIS, créés par Sœur MILCENT, si connue dans le monde ouvrier. Deux mois après leur fondation, les Syndicats ont 62 membres « Employées » et 200 membres « Ouvrières ». Ils prennent contact avec les autorités locales et les patrons. Un Bureau de placement est organisé. Les Employées présentées par les Syndicats obtiennent une augmentation dans les magasins de 200 frs à 300 frs. 

La vie des travailleuses s’améliore peu à peu. Mais le travail à domicile des femmes est payé dérisoirement. Afin d’assurer à la mère de famille un travail mieux rétribué qui lui permette de gagner sa vie, tout en surveillant les enfants et gardant le foyer, les Syndicats montèrent, non sans peine, un Atelier de confection. En ne gardant que l’argent nécessaire pour les frais de coupe, le salaire de l’ouvrière s’élève de 0,20 frs à 1,10 frs de l’heure. Il sort de l’atelier des chemises, des blouses, des tabliers, des peignoirs. Des distributions aux mères de familles permettent d’améliorer leur gain familial. Plus tard, l’atelier passe des marchés de guerre avec l’Intendance du Mans, ce qui procure du travail à près de 1 000 ouvrières. Jusqu’au 15 juin 1940, chemises, musettes, caleçons, sont confectionnés pour les soldats. Le Secours National procure de la laine pour faire travailler les femmes, les mères de prisonniers et de familles nombreuses. Elles tricotent des pull-overs qui sont bien rétribués.

Après le travail à domicile, ce sont les Cours professionnels et gratuits qui s’organisent pour les jeunes employées, ouvrières et apprenties. Ils sont donnés après les journées de travail, suivis au départ par une quinzaine d’élèves. Les cours commerciaux de la journée commencent avec une machine à écrire et 11 élèves. L’année suivante 107 élèves sont inscrites.

Sœur Catherine compte entièrement sur la Providence. Elle achète le 1er juin 1923 sans argent, la maison du 18 rue du Docteur Leroy, en faisant un emprunt (fin du remboursement en octobre 1944). Une Ecole Technique de jeunes filles est ouverte, avec autorisation ministérielle et une subvention d’Etat. Un enseignement professionnel et ménager, coupe et couture est dispensé. L’élève est préparée à gagner sa vie mais aussi à être une maîtresse de maison économe, ordonnée et adroite, sachant confectionner les vêtements de ses enfants, faire la cuisine, et rendre son intérieur soigné et charmant ! Cet enseignement de 2 ans est sanctionné par l’examen officiel des CAP Couture, Lingerie et Mode. Les jeunes filles de l’enseignement commercial passent les examens d’Etat : CAP Sténodactylo et Comptabilité. L’Ecole Technique comprend 180 élèves et les Cours gratuits sont suivis par 208 élèves. Le Bureau de placement leur procure un emploi dans des maisons sûres, dès que possible.

Après la Guerre, des jeunes filles quittent leur pays natal pour travailler en Ville. Le 24 juin 1924, un Foyer fémininest ouvert où elles trouvent, à petit prix, le gîte et le couvert avec la surveillance morale et dévouée d’une Sœur qui s’occupe d’elles. De plus, un réchaud est installé pour « Midinettes » et Apprenties, qui permet aux jeunes travailleuses de faire chauffer leur déjeuner. Une salle est mise à leur disposition, jusqu’à la reprise du travail. Elles ont à leur disposition des livres intéressants, instructifs et amusants. En mai 1940, moment de l’exode en masse, le Foyer féminin ouvre ses portes pour devenir Centre d’Accueil des réfugiés. Il distribue plus de 800 repas par jour, pendant près de deux mois.

Pour toutes les jeunes travailleuses qui le désirent, des distractions sont offertes. Le Cinéma des Syndicatsfonctionne l’hiver. L’été, des promenades intéressantes et instructives sont organisées : visiter des centres industriels ou des lieux historiques. Enfin une maison de vacances à VERNEIL-LE-CHETIF, à 50 km du MANS, abrite cette jeunesse pendant deux mois. Les jeunes employées et apprenties viennent passer leurs congés-payés, à peu de frais dans une belle campagne pour refaire leur santé.

Sœur Marie et Sœur Catherine n’ont-elles pas été pionnières pour répondre aux besoins des jeunes filles et jeunes femmes de leur temps ?  Comme le demandait Saint Vincent de Paul, leur Fondateur : être « inventives à l’infini ! ». 

Le Service des Archives