Les Filles de la Charité à DENAIN (1853-1967)
Denain est une commune de la banlieue de Valenciennes. Ancienne capitale du charbon et de l’acier, la ville est située au cœur du bassin minier du Nord.
En 1835, une Ordonnance royale autorise les Forges à s’installer à DENAIN. De 3 200 habitants en 1836, la Commune passe à 8 691 habitants en 1851. L’histoire des écoles des Forges de DENAIN commence le 30 mars 1853 par un contrat signé entre la Société des Forges et Hauts-Fourneaux DENAIN-ANZIN représenté par M. WATERMAN, Administrateur, et la Supérieure générale des Sœurs de Saint Vincent de Paul, Mère MONCELLET. L’article 11 précise « l’une des Sœurs sera spécialement chargée du soin de faire gratuitement l’école aux petites filles indigentes de l’Etablissement des Forges, les instruira des principaux mystères de notre sainte religion et leur apprendra à lire et à écrire ».
Les Sœurs sont aussi chargées de répondre aux besoins des pauvres, de prodiguer les soins aux malades. Il est précisé qu’en cas d’épidémie, l’activité scolaire sera suspendue pour « aider à leur soulagement ».
La Supérieure, Sœur SALLE, ainsi que Sr Vincent et Sr Philomène arrivent les premières, une 4ème Sœur vient rapidement. Elles logent dans un coron situé le long du canal de l’Escaut, pendant une vingtaine d’années.
Les Sœurs font la classe aux filles et aux garçons dans le lieu dénommé « Salle d’Asile ». Elles vont à la messe à L’Église Saint Martin par un sentier pierreux, malaisé, difficile. Sœur Philomène s’empare d’une cloche et fait le tour de l’Usine pour convier les ouvriers à la prière dominicale. Elle soigne les blessés sous la direction d’un Médecin-Chirurgien, le Docteur DELAFAYE.
En 1863, il y a 910 ouvriers aux Forges, ce qui est considérable pour une entreprise de ce siècle. En 1872, avec 12 330 habitants, DENAIN devient la 8ème ville du Département.
En 1874, avec le développement des œuvres, les Forges construisent une école, une chapelle et des locaux pour les Sœurs, rue de l’Usine. Cette rue prendra le nom « rue du Couvent ». L’Administration transfère les Sœurs dans cette maison en 1875. L’école reçoit les enfants de la cité Bessemer ; la chapelle tient lieu de Paroisse. Les enfants ayant suivi le catéchisme à l’école des Forges y font leur communion. Ce nouveau quartier est baptisé « le nouveau monde ». L’école comprend : quatre classes de filles et trois classes de garçons, plus une salle d’asile pour les petits. Sœur Marguerite, armée d’une longue baguette, rappelle à l’ordre l’élève distrait ou bavard. M. CHAUDEFAUX, Directeur, en ce temps-là vient tous les lundis faire l’inspection des classes. La grande récompense du jeudi est d’aider Sœur Catherine à faire les pains d’autel et surtout à manger les découpures. Une grande pharmacie est ouverte tenue par Sœur Philomène et Sœur Cécile. On y reçoit les bonnes potions de vin fortifiant, de bolée de miel pour les rhumes et la toux. Sœur Cécile donne un bon sourire et une bonne parole avec un petit grain d’accent méridional, la guérison est assurée ! A côté de la pharmacie, le magasin, où Sœur Catherine avec 2 autres Sœurs et 2 femmes, distribuent aux ouvriers farine, pommes de terre, denrées de toutes sortes et vêtements.
En 1880, s’ouvre un orphelinat avec une vingtaine de filles d’ouvriers décédés. Sœur Thérèse remplace la maman disparue… Sœur Victoire et Sœur Casimir tiennent la lingerie. Un ouvroir permet aux jeunes filles externes d’apprendre couture et broderie avec les orphelines sous l’habile direction de Sœur Vincent. Les Sœurs s’occupent aussi des catéchismes et de l’entretien de l’Eglise. L’école primaire compte 4 classes de filles et 3 classes de garçons ; la salle d’asile regroupe filles et garçons en bas âge. Les Sœurs organisent une infirmerie pour parer aux accidents du travail. Sœur SALLE meurt en 1885 et Sœur RESIBOIS la remplace. En 30 ans, la communauté passe de 4 Sœurs à 22 Sœurs !
En 1900, c’est la construction de l’Eglise du Sacré Cœur dans ce quartier du « nouveau monde ». A côté de la pharmacie, un magasin distribue des denrées et des vêtements aux ouvriers. La tourmente de 1903 ébranle le bel édifice sans pourtant le renverser. Les Sœurs enseignantes partent. La Direction de l’orphelinat est confiée à Mademoiselle Élise FONTAINE. Six Sœurs seulement restent pour assurer le service des blessés, de la pharmacie et des soins à domicile. Sœur RESIBOIS décède en 1912 et est remplacée par Sœur CAU. Musicienne, elle fonde une chorale de jeunes filles et ouvre un patronage ; ces dernières aiment ces réunions simples et joyeuses du dimanche.
En 1914 « la Guerre » éclate. Les allemands envahissent la Belgique et le Nord. Sous les yeux de la population terrorisée, ils défilent pendant des heures. Un Administrateur donne l’ordre d’installer une ambulance dans la Salle Saint Michel du Couvent. Le lendemain, une vingtaine de blessés français et anglais sont hospitalisés.
Ils seront ensuite emprisonnés par l’occupant. Les Institutrices étant parties, deux Sœurs assurent les classes et le patronage jusqu’en 1918. En 1917, l’ensemble des bâtiments est réquisitionné par la Croix Rouge allemande. Les Sœurs ont 3 jours pour évacuer les locaux ; elles assurent les cours chez des particuliers. C’est l’année des bombardements systématiques de l’industrie denaisienne et notamment des Forges qui sont entièrement détruites.
La pharmacie est installée rue de Bouchain jusqu’à la fin de la guerre. Le canon tonne sans arrêt, les avions sèment la mort, les Sœurs se dévouent sans mesure au service des blessés. Les populations des villages environnants affluent à DENAIN, amenant leurs vieillards que la ville installe dans la maison de M. FRANCEL, 1 Boulevard de la République.
En 1918, l’armistice est signé. L’allégresse est dans tous les cœurs. Peu à peu l’hôpital se vide et les Sœurs se préparent à regagner leur maison en novembre. L’hôpital se vide des blessés pour redevenir un dispensaire. Les activités scolaires reprennent dans la normalité. Sœur CAU et Sœur Bernadette regroupent les jeunes filles pour la Chorale et le Patronage. L’usine « ressuscite » non sans peine, les hauts-fourneaux s’allument à la joie de tous. Grâce à la générosité de l’Administration, les Sœurs organisent de grands voyages pour cette jeunesse avide de voir et de connaître : la Belgique et ses ports, la côte de France de Dunkerque à Saint-Malo.
En 1922, aux classes primaires est adjoint un Cours Complémentaire. Trois élèves présentés sont reçus au Brevet.
En 1923, Sœur CAU, en accord avec M. le Directeur, toujours soucieux du bien des familles qui contribuent à la prospérité de l’Entreprise, ouvre une École Ménagère pour la formation des jeunes filles : l’Œuvre du trousseau qui réunit le soir, plusieurs fois par semaine, les jeunes filles pour leur apprendre à coudre et à confectionner des pièces utiles à leur trousseau. Cette même année, c’est la naissance d’un groupe de R.S.F. « Rayon Sportif Féminin ».
En 1931, un Cours Complémentaire de garçons est créé, sous la direction de M. SAGNIEZ. Le 1er élève reçu au Brevet en 1935, deviendra par la suite Directeur de l’Etablissement. Sœur BUSSEUIL remplace Sœur CAU. Elle s’émeut des enfants à la figure « palote ». Elle fait part de son projet à ces Messieurs. Aussitôt une belle maison est louée pour l’été à BONSECOURS, au bas de la colline près de la forêt.
En 1934, M. le Doyen de SOLRE-LE-CHATEAU offre sa maison pour les enfants de DENAIN. Et en 1938 les vacances sont à ROUVIGNIES. Que d’heureuses vacances y ont passées les enfants du « nouveau monde » ! En 1936, un camp est ouvert à ROUVIGNIES ; 200 petites filles s’ébattent dans le « Camp de la Joie » à l’ombre des grands arbres. Un camion amène du matin au soir cette joyeuse troupe, sous la conduite d’une Sœur aidée de monitrices.
En 1938, Sœur DUSSEUIL et le Docteur DEBURGE demandent à l’Administration la transformation des locaux « Magasin et pharmacie ». On installe une agréable clinique chirurgicale où non seulement les grands blessés du travail, mais aussi les ouvriers et leur famille sont accueillis et soignés de tout cœur. En 1939, le Docteur se prépare à partir, mobilisé aux armées. Les Sœurs pensent à se dévouer aux blessés mais la tourmente se déchaîne, aussi rapide qu’imprévue. Les bombes sifflent partout ; c’est la fermeture de l’usine et des activités du Couvent. C’est le douloureux exode des populations.
En 1940, les Sœurs reviennent. La guerre est encore venue rompre la croissance des écoles des Forges sans faire cesser toute activité. Les cours sont assurés par petits groupes de 6/7 élèves chez des particuliers, puis une maison est louée à DENAIN. Enfin, les cours sont assurés jusqu’à la libération dans une salle de cinéma aménagée. La clinique est ouverte avec un chirurgien de passage mais un nouveau bombardement de l’usine oblige les Sœurs à se transporter rue Duquesnoy avec leurs malades. L’École Ménagère trouve asile rue de la pyramide. Deux Sœurs restent rue du Couvent pour assurer le Dispensaire et le soin des malades à domicile. L’occupation dure 5 ans.
Après l’Armistice, les Sœurs reviennent dans leur chère maison. Le Docteur est démobilisé. La clinique ouvre largement ses portes, l’École Ménagère s’adapte aux exigences des lois nouvelles. Les Sœurs, heureuses, parcourent les corons, consolant les cœurs endoloris.
En 1948, est créée l’Union Sidérurgique du Nord de la France (USINOR). Les effectifs des Usines de DENAIN augmentent considérablement : « pour avoir un emploi, il suffit de se présenter au bureau d’embauche le matin ». La Direction d’Usinor construit un préau et une salle de réfectoire afin que les élèves puissent prendre leur repas sur place. La vieille école se rajeunit. Après 1950, les crédits « Barangé » permettent de remplacer le mobilier et de doter les classes d’appareils audio-visuels nécessaires à l’école des filles et des garçons.
En 1963, la grande salle Saint Michel est divisée, transformée : la classe enfantine se trouve alors en possession d’une salle de jeux et d’un coin de repos avec petits lits.
Le 26 avril 1953, jour de fête pour les « cent ans de dévouement au service des enfants, des malades, des orphelines, des jeunes filles, des blessés, des pauvres ». L’Archevêque de Cambrai, Mgr GUERY, résume les activités des Sœurs à l’Usine et adresse à ces Messieurs un mot délicat pour les remercier d’avoir compris depuis toujours la nécessité d’œuvres sociales, et de les avoir généreusement soutenues.
En 1966, la population représente près de 30 000 habitants et 9 000 ménages. Les usines USINOR de DENAIN emploient 10 000 ouvriers. Les ruraux quittent la campagne pour s’installer dans les cités où ils bénéficient de nombreux avantages dus à leur condition de salariés à USINOR (électricité à tarif réduit, logement…). DENAIN compte alors quatre Sœurs qui ont soigné 329 blessés d’USINOR en infirmerie, 864 personnes dans le dispensaire, 894 autres en soin à domicile, sans compter les visites régulières de 60 vieillards. Elles ont aussi enseigné dans leur école technique, les matières ménagères et commerciales, ainsi que le catéchisme à 250 jeunes filles et 46 autres jeunes de la Paroisse. Elles ont aussi organisé et animé un camp de vacances à Saint Jean de Maurienne pour 38 filles ainsi qu’un Centre Aéré d’un mois pour 96 autres. Elles s’occupent du patronage de 46 « Ames Vaillantes » et 44 « Avettes ».
Le 20 octobre 1967, la page de DENAIN dans « la Voix du Nord » titre : « Les Sœurs de Saint Vincent de Paul de la Paroisse du Sacré Cœur vont quitter définitivement notre Ville ».
Le 31 octobre 1967, après 114 ans de service dans la ville de Denain, les Sœurs quittent leur quartier du Nouveau Monde.
En 2003, un historique relate : « Célébrer un 150ème anniversaire, c’est regarder les évènements, naissance et croissance, épreuves et joies en se remémorant les êtres et les choses au fil du temps. Il était une fois, rue du Couvent… C’est admirer le dynamisme qui a fait traverser les épreuves difficiles… C’est aussi le départ d’une vie nouvelle… Chaque établissement étant appelé à avoir son identité :
- le Lycée restera « Lycée des Forges »
- le Collège deviendra « Collège Saint Vincent » en mémoire des religieuses qui sont à l’origine des écoles
- l’Ecole Primaire s’appellera « Ecole Saint Christophe », les enseignants « portent » les enfants. Ils sont les messagers du Christ.
Célébrer cet anniversaire, c’est trouver le souffle pour repartir ensemble avec la communauté éducative toute entière, petite cellule d’Eglise, poursuivre le chemin tracé dans la confiance. »
Sœur Annie GESRET, Archiviste Provinciale
NB : Historique réalisé à partir de 2 historiques, celui du centenaire et celui du 150ème anniversaire