La mission des Filles de la Charité en Turquie

Aujourd’hui, s’émerveiller du passé, pour rendre grâce

1ère partie

En 1839, pour la première fois, les Filles de la Charité posent le pied sur le sol de Constantinople, précédées par les Lazaristes en 1783. A cette époque, les femmes ne sortent pas, et l’instruction est considérée comme « nuisible et inutile » aux femmes.

En 1839, une école pour les filles est ouverte à St Benoît par Mesdemoiselles Tournier et Opperman (qui deviennent Filles de la Charité) et sous la direction des Lazaristes. Le 8 décembre, deux Filles de la Charité les rejoignent pour prendre en mains l’œuvre commencée. En 1840, trois sœurs rejoignent les quatre premières. Et les classes comptent 230 élèves.

En 1843, la maison compte quinze sœurs, 100 enfants à demeure et 3 classes externes soit 400 élèves, ainsi qu’un ouvroir, un dispensaire, une pharmacie. Les visites des Pauvres à domicile, l’œuvre du catéchuménat, celle de la première Communion et du catéchisme de persévérance s’ajoutent aux autres œuvres.

En 1844, l’œuvre des enfants trouvés à Galata. Enfants recueillis d’abord par nos pères Lazaristes, et confiés à des nourrices. Les Lazaristes sont généreux, l’un offre des berceaux.

En 1846, l’hôpital français, St Louis est confié à nos sœurs. Trois sœurs y sont envoyées. Dès la première année, les malades doublent.

En 1847, ouverture de l’école primaire à Bébek, Saint Joseph, sur les rives du Bosphore. Six sœurs prennent possession de la maison. Elles accueillent des enfants catholiques et arméniennes, des petits orphelins. Les malades sont soignés au dispensaire.

En 1850, l’œuvre des prisons :

« Bien intéressante est l’œuvre des prisons qui commence en l’année 1850. Un ancien domestique des sœurs, étant sorti de chez elles, se fit mettre en prison. Les sœurs auraient bien voulu lui porter secours, mais on leur disait : « jamais vous n’y parviendrez ; jamais on n’a pu pénétrer dans ces repaires affreux et une femme le peut moins encore. » Un jour de Mai 1850 une Sœur du dispensaire de Galata, accompagnée d’une jeune fille du pays hardie et entreprenante, se fait conduire en caïk (bateau) pour visiter quelques malades au fond de la Corne ’Or. En passant devant l’arsenal, qui sert à la fois de forteresse et de prison pour les Turcs, la Sœur se sent pressée de secourir son prisonnier…

Toutes deux abordent. « Que veux-tu ? dit-on impérieusement à la Sœur au premier corps de garde. Voir un prisonnier. Où sont-ils ? en haut. Elles montent ; au deuxième même demande, même réponse.

Elles montent encore ; au troisième elles trouvent des gardes plus nombreux et plus malhonnêtes que les précédents ; que vont-elles subir ? De loin le marmiton de la compagnie aperçoit la Sœur : « Hekim, hekim » (médecin) et toute la respectable société des « cavas » (policiers) de se lever, et de s’incliner devant le « hekim ».

Celle-ci commence à se sentir forte de sa dignité. Elle se met en devoir de satisfaire aux nombreuses consultations que chacun lui adresse, car tous ont trouvé des maux à guérir. Elle leur promet des médicaments et obtient en paiement la visite de la prison… »

En 1853, acquisition d’un terrain afin d’élargir l’orphelinat qui quitte Galata. Acquisition d’un grand bâtiment pour les élèves à côté de la Cathédrale Saint Esprit. Pensionnat remis en 1858 aux religieuses de Notre Dame de Sion.

En 1854 les sœurs entreprennent la construction de la chapelle de l’hôpital. Mais avec la Guerre d’Orient, faute de place dans l’hôpital, les sœurs accueillent les malades dans la chapelle non terminée, ainsi que dans les classes.

En 1854-1855, la Guerre de Crimée :

« Dès le début de la guerre, les Filles de la Charité arrivent nombreuses de France et du Piémont. Quatorze ambulances leurs sont confiées. Les sœurs entourent les soldats français et italiens de leurs soins. Dans le seul hiver 1855-1856, 47000 soldats français entrent dans les hôpitaux, 9000 meurent soit du choléra, soit du scorbut, soit du typhus.

Une centaine de Filles de la Charité contractent le terrible typhus qui décime les armées, et sur 255 sœurs qui viennent successivement au secours de leurs compagnes, 33 sont victimes de l’épidémie. A Galata, 5 salles sont transformées en infirmerie pour les sœurs, et les convalescentes sont envoyées à Bebek. »

En 1856, l’Hôpital de la Paix

L’hôpital de la Paix, à Constantinople est le touchant souvenir du passage de l’Armée d’Orient en cette période troublée. Avant de quitter cette ville, le Général LESPINASSE vient, au nom de l’Empereur, remercier Sœur LESUEUR des soins que les soldats ont reçus des Filles de la Charité pendant la guerre et lui annoncer qu’une décoration va lui être remise. Cette sorte d’honneur ne va nullement aux Filles de la Charité, la Croix qu’elles portent à leur chapelet leur suffit, et elles n’en veulent pas d’autres.

  • « L’Empereur désire vous témoigner sa reconnaissance par quelque chose qui vous soit agréable. »
  • « Ce qui me serait agréable, Monsieur le Général, serait un hôpital à notre libre disposition, où nous pourrions recevoir tous les pauvres qui n’ont ni chancellerie, ni hôpital de leur nation et qui souvent meurent abandonnés, sans que nous puissions les placer, un asile puisqu’il n’y en a point ici pour eux ».
  •  L’Empereur n’a point de possession à Constantinople, il ne peut donc vous donner, mais en son nom, je vous promets le matériel pour cet hôpital désiré. »

En effet, l’armée en quittant Constantinople, laisse aux sœurs en plus des 20 baraques de l’ambulance du camp de manœuvre, le matériel nécessaire pour 300 lits, ainsi que d’abondantes provisions. Les armées anglaises et serbes envoient aussi leurs présents en provisions et matériel et les Turcs, pendant un an laissent aux Sœurs la jouissance du terrain. Ainsi commence, sous les baraques du champ de manœuvre, l’hôpital de la Paix. Sœur RENAULT en est l’organisatrice. L’année suivante le sultan désirant l’emplacement occupé par les Sœurs pour y célébrer le mariage de ses trois filles, fait don en échange, d’un terrain de plus de 2000 m2.

Il y ajoute une somme de 250 000 piastres, environ 45 000 F pour construire la bâtisse de l’hôpital. Le grand Vizir (Ministre) et beaucoup de personnes font aussi des aumônes à cette intention. Enfin, après beaucoup de tribulations, de peines et de fatigues, l’hôpital est construit, et à la fin de 1858, il commence à fonctionner avec une douzaine de malades.

L’hôpital devient rapidement un foyer de charité à en juger par une lettre de Sœur RENAULT :

« Sœur LESUEUR nous envoie tous les petits garçons, enfants trouvés, à mesure qu’ils sortent de nourrice…

Les habitants de Ferriköy, (quartier d’Istanbul) trop éloignés d’une école où ils puissent envoyer leurs enfants, nous ayant fait de pressentes instances, nous avons satisfait leur désir en ouvrant deux classes tout dernièrement…

Nous avons ouvert aussi un petit dispensaire qui est très fréquenté…La Messe du dimanche est entendue par plusieurs personnes qui en étaient privées avant qu’elles n’eussent à leur disposition la chapelle de l’hôpital.

La situation des pauvres aliénés catholiques avait toujours oppressé le cœur de Sœur LESUEUR : il n’y avait aucun lieu pour les recevoir. Avant de quitter cette terre, elle a la consolation de les savoir à l’abri dans une des constructions nouvelles de l’hôpital de la Paix. »

En 1861, l’Œuvre des Bagnes, nos sœurs peuvent y entrer grâce à l’ambassadeur qui a obtenu l’autorisation de l’amiral drogman (interprète) de l’Ambassade. Nos sœurs, chargées de vêtements, de pain blanc et d’oranges visitent les galériens. Ils sont au nombre de 1200. Un médecin italien condamné lui-même aux galères les soigne.

Sœur Janine ARNOLD pour le Service des Archives de la Province Belgique-France-Suisse

A suivre le mois prochain…