Agen 2022 – Un carême inattendu au quartier Rodrigues
Le 1er février 2022, au Secours Populaire Français d’Agen, la secrétaire vient me trouver pour me dire qu’une famille congolaise arrivait de Grèce et ne savait pas où aller ce soir. Je lui demande de téléphoner au 115, le CADA ne pouvant pas héberger des gens sans démarche préalable.
Au 115, elle obtient pour cette famille, Livion, Christiane et Christine (16 mois) 3 nuits dans un hôtel. Ils sont arrivés la veille à l’aéroport de Bordeaux, ont dormi à la Gare Saint Jean, et ont pris le train, sans savoir où ils allaient, pour un terminus à Agen. Christiane est enceinte de 5 mois.
Pour obtenir une nuit au 115 il faut que la famille téléphone tous les matins, mais ils n’ont plus de téléphone. Je leur donne donc 45 €. Dans l’hôtel loué par le 115, il faut donc débarrasser la chambre tous les matins et rester dehors toute la journée jusqu’à 17 heures, heure à laquelle la famille peut entrer dans la chambre accordée.
Le 1er jour la famille reste la matinée et l’après-midi au Secours Populaire (SPF). Le lendemain nous décidons de les inviter dans notre appartement toute la journée jusqu’à l’heure d’ouverture de l’hôtel. La famille peut ainsi se reposer. Ils sont éprouvés, leur rêve s’effondre… Ils ont un titre de séjour grec qui court jusqu’en juin 2023, mais comme ils ne connaissent pas la langue, il est difficile de trouver du travail, d’où l’idée de venir en France, puisqu’ils parlent très bien le français. Livion est ingénieur en électricité, Christiane a fait des études de commerce. Ils ont 24 et 25 ans.
Partis du Congo (RDC) en juin 2020, ils sont arrivés en Turquie, puis dans les camps durant 3 mois, ensuite en Grèce où ils ont obtenu rapidement un titre de séjour. Christine est née en Grèce le 27 septembre 2021.
Après les 3 nuits au 115, que leur proposer ?
Elisabeth, la secrétaire du Secours Populaire (SPF), propose de les héberger 6 jours chez elle, ensuite, comme elle reçoit de la famille elle ne peut pas continuer.
Pendant ce temps nous téléphonons au SPADA (Structure de premier accueil des demandeurs d’asile) à Bordeaux. Nous pouvons nous y rendre sans rendez vous. Marthe les accompagne donc au SPADA, pour s’entendre dire qu’il fallait prendre RDV. On leur donne donc un rendez vous pour la fin février. Les règles d’accueil ont changé entre temps !
Pendant ce temps nous cherchons des solutions d’hébergement…
- La sœur d’une amie, qui a une grande maison, ne peut pas,
- Le délégué à la pastorale des migrants reçoit sa famille,
- Le voisin Gérard, Congolais responsable de la communauté congolaise, n’a pas de solution,
- Les prêtres congolais vivant seul dans de très grands presbytères, ne répondent pas,
- L’appartement promis par l’Agglomération agenaise n’est pas ouvert pour des migrants qui ne sont pas « en recours » de régularisation…
- Les deux maisons prêtées à deux familles Géorgiennes ne sont pas accessibles sans contraintes (et le maire ne veut pas une 3ème famille migrante dans son village),
- Le diocèse garde précieusement ses logements fermés et vides…
Alors la communauté de Rodrigues décide d’héberger la famille.
Transformation d’une chambre en salon/dortoir, avec clic-clac, petit lit prêté par une autre personne migrante, qui n’en a plus besoin.
Christiane cuisine des plats de son pays, qu’elle partage avec nous…
Livion s’engage comme bénévole au Secours Populaire (SPF). Lorsque nous partons en réunion ou en week-end, nous leur laissons l’appartement. Au fur et à mesure les échanges nous permettent de nous connaître.
Nous accompagnons Christiane à l’hôpital pour les examens médicaux, à Bordeaux pour les démarches administratives de demandeurs d’asile… Début avril, le SPADA de Bordeaux les oriente vers le CADA de Pau.
Livion et Christiane sont très reconnaissants de l’accueil spontané : « nous avons trouvé une famille, jamais nous n’aurions pensé être accueillis comme ça, vous nous avez aidés financièrement, moralement, dans les démarches, les accompagnements, nous avons beaucoup apprécié, et nous étions en sécurité ». « Je crois que dans ma propre famille je n’aurais pas trouvé pareille aide, nous ne l’oublierons jamais ».
Pour nous trois cette expérience d’accueil où nous mettions tout en commun a été inédite, nous l’avons bien appréciée, riche de partage, de pensées et de prières. Christine par ces petits cris, et son évolution durant ces deux mois a été un rayon de soleil, elle nous a très vite adoptées et voulait nous imiter en tout et pour tout. Ce fut une grande joie de la voir courir, chanter, danser, tomber, pleurer mais rire aussitôt.
Bien sûr ce temps de partage nous a permis de créer des liens amicaux, nous sommes allées à Pau voir la famille installée dans un appartement du CADA face à la montagne, et nous sommes tous heureux de nous retrouver.