Les Filles de la Charité d’AVRANCHES (suite)

La Seconde Guerre Mondiale

Dans l’article de décembre 2024, un extrait d’un « Journal de route durant la Guerre » d’une Fille de la Charité a été mentionné du 6 au 20 juin 1944. L’intégralité de ce journal est publiée en ce début d’année 2025 :

  • la période du 21 juin au 30 juillet en janvier
  • la période du 31 juillet au 16 août en février

Mercredi 21 juin – Tout le monde se lève de bonne heure, malgré le manque de sommeil ! En voiture à cheval, trois Sœurs partent pour Avranches. Mise en vrac de tout ce qui reste à la maison pour que tout soit prêt à être emporté en lieu sûr. Le trafic incessant des camions allemands nous engage à aller dormir dans notre charretière et nous fait apprécier la chaleur de la paille.

Jeudi 22 juin – Il y a 15 jours que nous avons frôlé la mort dans le bombardement de la nuit ! Journée d’action de grâce pour TOUT ! La tempête de la nuit a chassé les avions et balayé le ciel qui est d’un bleu magnifique. Oraison en plein air, sous les pommiers, face au Mont-Saint-Michel.

Vendredi 23 juin – Le bruit court d’un fort effectif d’Allemands. Nouvelle évacuation de beaucoup. Nous restons calmes à notre poste. On envisage à nouveau l’abandon de nos chères cornettes, qui seraient remplacées par le voile d’infirmières. Voyage de Soeur Cécile et Sœur Madeleine à SAINT-SENIER. Nous apprenons qu’un arrêté préfectoral vient d’être pris pour décongestionner les communes trop surchargées de réfugiés et les diriger vers des centres indiqués. Aucune pension ne sera versée à ceux qui ne se soumettent pas ! La ration de pain est de 100 grammes. Nous passons la nuit à l’auberge.

Samedi 24 juin – Nous apaisons les esprits des gens irrités par l’arrêté préfectoral. Nous devons rester momentanément pour le service. Nous décidons de sacrifier nos deux canards ! Certains tracts demandent d’éviter toute circulation sur les routes. Notre dernière nuit à l’auberge nous engage à passer celle-ci sur la paille. Nuit mouvementée, réveil en sursaut car un avion semble piquer vers nous. Fusées nombreuses, le bombardement tout proche nous invite à la prière.

Dimanche 25 juin – Journée calme. Beaux Offices grégoriens grâce à notre chorale des réfugiés, formée et dirigée par M. l’Abbé Danguy. Nombreuse assistance. Annonce officielle de la prise de Cherbourg. On inaugure un dortoir sur le sol d’un abri.

26 – 27 – 28 juin – A l’Ouest, rien de nouveau. 

Jeudi 29 juin – Saint Pierre et Saint Paul. Nous souhaitons la fête à M. l’Abbé qui invite M. le Curé de Saint Saturnin à venir dîner à l’auberge. Grande joie de le recevoir. Ce prêtre s’est montré si bon et si dévoué pendant les évènements.

Vendredi 30 juin – Visite de Sœur Supérieure et de Sœur Cécile à l’Hôpital d’Avranches. Elles reviennent émues de l’accueil chaleureux que leur ont fait les blessés et les vieillards. Visite aux ruines… Visions d’horreur !!     

Samedi 1er juillet – Journée grise terminant une semaine pluvieuse.

Dimanche 2 juillet – Pour laisser la place aux nouveaux clients de l’auberge, nous inaugurons les repas à l’abri. Une voiture du Secours est à la Sous-Préfecture. En toute hâte nous portons le courrier préparé pour Paris.

Lundi 3 juillet – Depuis quelques jours, M. l’Abbé pense à organiser des classes pour les enfants évacués d’Avranches et ceux des campagnes environnantes, en collaboration avec les Sœurs. Rendez-vous à l’église pour la répartition scolaire. Les Filles de la Charité héritent des garçons et filles de 6 à 13 ans. Les secondaires, peu nombreux, seront suivis par quelques professeurs.

Mardi 4 juillet – ouverture des classes. Les Sœurs sont aussi ravies que les enfants et c’est peu dire ! Nous confions une lettre pour Sœur Visitatrice à un « inconnu » qui se rend directement à Rouen. Visite de notre Maire, le Docteur Simonin. Joie du revoir ! Il arrive en boitant, tout frêle, se ressentant encore de sa douloureuse blessure.

Mercredi 5 juillet – Nuit très mauvaise. Bombes pas très loin. A 8 heures, messe solennelle pour ls victimes du bombardement d’Avranches. Le recueillement de la foule est très émouvant. Liste impressionnante des 85 victimes.

Jeudi 6 juillet – Nuit mauvaise, sinistre, passage constant d’avions très lourds qui laissent supposer le transport de troupes. 

Nos quatre lapins rescapés du bombardement et du pillage, viennent, accompagnés de « Blanchette » notre oie et de son fils unique !  Les autres volatiles sont disparus dans l’estomac des resquilleurs.

Vendredi 7 et samedi 8 juillet – l’activité aérienne reprend…

Dimanche 9 juillet – Visite du grand Carmel ! Faveur de voir les Sœurs dans leur clôture !

Lundi 10 juillet – Voyage à Avranches. La nuit a été rude, montée constante des troupes allemandes. Les avions sont sur eux et sur nous. Mitraillage dans le bas de la côte à 200 mètres. Pitié envers les Bretons réquisitionnés en cours de route pour les besoins de la troupe. Le souvenir de notre nuit d’anxiété nous décide à la descente des matelas et à nous éloigner de la route distante de quelques mètres.

Mardi 11 juillet – Nuit particulièrement mouvementée. Arrivée vers 11 heures du soir d’un régiment. Le Chef réquisitionne notre « Peugeot » dans la cour avec promesse de la remettre à leur départ !     

Mercredi 12 juillet – Sœur Marie et Sœur Louise aident toute la journée au déménagement des meubles, de la Maison de Charité à l’ouvroir.

Jeudi 13 juillet – Prévenues que le Régiment est prêt pour le départ, deux Sœurs partent, sous le nez des soldats et trouvent le précieux véhicule. Aidées du Chef et de sa complaisance, elles peuvent ordonner aux soldats de détacher la voiture et de la vider des bouteilles de cognac, eu de vie, cidre bouché. Retour triomphal des deux Sœurs trainant la « Peugeot » sous le regard du Régiment en partance ! 

Vendredi 14 juillet – Préparation d’un nouveau costume (cape, voile, col) en cas d’une évacuation qui se fait pressentir.

Samedi 15 juillet – Arrivée de 34 réfugiés de Carentan : accueil, le diner est organisé dans une atmosphère sympathique, les gens sont très reconnaissants.

Dimanche 16 juillet – Les Filles de la Charité fraternisent avec les Carmélites en ce jour de Fête de Notre Dame du Mont Carmel.

Lundi 17 juillet – Visite du Sous-Préfet qui demande officiellement à Sœur supérieure de prendre la direction du Centre d’Accueil des Abattoirs d’Avranches. Sœur Cécile et Sœur Madeleine sont désignées pour ce service. Ici, le Centre continue : 54 réfugiés.

Mardi 18 juillet – Le Chef du camp des réfugiés tient à garder la direction et va trouver le Préfet. Nous sommes heureuses de nous retirer ne désirant que « servir » dans l’ombre.

Mercredi 19 juillet – Des villages avoisinants, les réfugiés d’Avranches et d’ailleurs se joignent à nous pour la Fête de Saint Vincent de Paul.

Jeudi 20 juillet – Soeur supérieure se rend au Centre pour rencontrer le Chef du Camp de réfugiés. Nous nous mettons à sa disposition pour n’importe quel service sans avoir la charge de l’administration. 

Vendredi 21 juillet – Dans la paix reconquise au Centre, tout s’organise pour le mieux. Une Sœur prend son repas près du Centre pour éviter une perte de temps et servir au maximum.

Samedi 22 juillet – Le cortège des réfugiés s’accentue : 600 à 700 par jour. Que de scènes navrantes ! Des familles  nombreuses arrivent avec le reste de leur bétail. 

Du 23 au 27 juillet – Moins de réfugiés car les nouvelles du front sont meilleures. Les Américains sont à COUTANCES.

Vendredi 28 juillet – Les avions passent sans arrêt avec de nombreux bombardements. Les familles d’Avranches repliées partent d’ici. Nous faudra-t-il évacuer une seconde fois ? 

Samedi 29 juillet – Continuité des bombardements, l’évacuation est arrêtée. Les convoyeurs n’osent plus s’aventurer. Les réfugiés ont peur. Nous consultons la carte très souvent pour chercher un refuge. L’avalanche de feu se dirige vers nous ! Derniers préparatifs de notre équipement !

Dimanche 30 juillet – Nuit mouvementée par le va-et-vient des voitures allemandes. Vers minuit arrivée d’un camion  dans notre cour. On entend le déménagement des tables du Centre d’Accueil. Les soldats s’installent. Ils se sentent  poursuivis par l’aviation qui les a découverts. Après avoir camouflé leur camion avec nos tables, ils disparaissent, ayant peur « que le ciel ne tombe sur leur tête ». Les avions volent très bas, fouillent notre cour ! Mitraillage en règle. Nous vivons des minutes lourdes.  Au petit matin nous sortons, le bourg est plein de soldats en déroute et anxieux. Beaucoup ont élu domicile dans notre auberge et ne veulent plus en sortir. On annonce l’armée américaine à GRANVILLE et à BREHAL. Ils sont à Sartilly à 9 heures ! Trois colonnes se dirigent sur Avranches. Le canon et la mitraille font rage. Le canon se rapproche. 

Les Vêpres ont lieu quand même à 15 h avec les Sœurs et 3 personnes. Les vitres tremblent à tout casser. A 17h, le canon se rapproche avec un bruit sinistre et à une vitesse effrayante. Avranches est en pleine bataille ! Minutes inoubliables. Le sifflement du canon nous perce les oreilles. Le bombardement s’intensifie. Les camions des allemands dans notre cour et dans le village sont pleins de munitions. C’est le grand danger. Ils le savent tellement qu’ils nous en font leur héritières et s’enfuient affolés. Quelques-uns laissent leurs habits militaires dans notre cour. Dans la prairie d’autres se dégradent en décousant eux-mêmes leurs galons. Leurs chevaux courent dans tous les sens effrayés eux aussi. Nous allons à l’auberge chercher nos sacs bleus et valises pour les mettre en sûreté dans la petite maison. Un officier dit à notre auberge qu’il est temps de fuir !  En un clin d’œil et dans un émoi indescriptible la « Peugeot » est bourrée de matériel pour la nuit, de quelques réserves, des capes. Au démarrage, dégringolade d’une partie du contenu de la remorque. Vite on recharge car le danger est grand ! Enfin, nous partons vers les Monts, vers les terres qui semblent le seul refuge actuellement. Impossible de fuir plus loin. 

Au milieu de la côte, la route est bouchée par les voitures allemandes que les avions visent. Impossible de passer la remorque par ce chemin. Passage à travers champs après l’escalade laborieuse du talus. Trois minutes après le passage de nos Sœurs, mitraillage des camions de munitions que nous venions de frôler. Crépitement dans tous les sens ! 

Arrivée au Monts, dans un cadre paisible nous suivons la bataille qui fait rage. Vision horrible des incendies sur tous les horizons. Que restera-t-il d’Avranches ? En partant, les Allemands incendient les fermes. On nous annonce l’arrivée des Américains à ARANCHES. Nous n’osons y croire ! Bombardement et canonnade incessants au cœur de la nuit. Nous nous allongeons toutes prêtes sur notre paille.

                                                                                                                                              A suivre…

Le Service des Archives de la Province Belgique France Suisse (Janvier 2025)