Historique de la Maison des Filles de la Charité à AS, en Belgique
La colonie d’école pour enfants chétifs à As (Asch), commune néerlandophone de Belgique située en Région flamande dans la province du Limbourg, est un exemple du rayonnement d’une œuvre des Filles de la Charité, longtemps après le départ de celles-ci.
L’œuvre est fondée en 1927 sous les auspices de l’Œuvre Nationale des Colonies Scolaires Catholiques et grâce aux efforts et la générosité de la baronne Emilie de Beeckman, qui donnera son nom à la colonie.
Un contrat est signé la même année avec Sœur Baptizet, Visitatrice de Belgique. Les Sœurs quitteront en 1954, quand la direction deviendra entièrement laïque.
Il n’existe presque aucune trace de la communauté d’As dans les archives belges de la Compagnie. L’histoire des Filles de la Charité à As serait sans aucun doute tombée dans l’oubli, si un ancien habitant de la colonie, qui y séjourna dans les années 1980, n’avait pas voué récemment un livre très intéressant à son histoire[1]. Sa dédicace néerlandophone (photo 1) dans l’exemplaire destiné aux Sœurs, en dit long sur l’influence durable de leur charisme :
Aux Filles de la Charité,
Ce petit bout d’histoire, de ce que vous avez aidé à créer et de ce que vous avez construit de telle façon, que cela a pu durer pendant tant d’années.
D’une même voix avec celles de tous les enfants, et jusque dans les années 2000 : Merci !
Pascal Tognon, Asch, 18.VI.2020
Le livre magnifiquement illustré nous apprend que les « Sœurs aux coiffes volantes » (comme elles étaient appelées par la population locale) se sont très vite intégrées dans le paysage de la petite commune limbourgeoise. Six mois avant la signature du contrat et leurs débuts officiels, elles étaient déjà présentes pour meubler et aménager les locaux et aider à constituer la nouvelle équipe : quatre puéricultrices, une infirmière, un directeur d’école, un enseignant de religion, deux institutrices et du personnel de cuisine et d’entretien. Cette colonie d’école pouvait accueillir 70 à 90 enfants à la fois, des filles entre 1927 et 1932, et à partir de 1932 uniquement des garçons. La direction générale était entre les mains de la Sœur servante.
Les enfants venaient surtout des milieux défavorisés de la région bruxelloise, ce qui explique que la colonie et ses classes avaient un fonctionnement bilingue, néerlandais et français. Ils restaient entre 3 et 9 mois au milieu des forêts de pins pour reprendre des forces, gagner en poids et capacité pulmonaire et se débarrasser de leur état prétuberculeux, tout en suivant des cours comme dans une école normale.
« L’idée d’une nouvelle Évangélisation pour sauver les âmes des enfants et de leurs parents qui s’étaient éloignés de la religion catholique, avait certainement aussi sa part dans l’initiative ».
L’effort des Sœurs, parfois épique, dans la maintenance et l’élargissement de l’infrastructure est aussi impressionnant que leur apport au bien-être physique et moral des enfants. Cet aspect matériel est souvent sous-estimé dans l’historique des communautés, surtout quand leurs débuts coïncident avec l’œuvre même.
En arrivant à As, la première Sœur servante trouve le bâtiment principal « comme vide », sans confort, tel qu’un « château fantôme ». « Je ne trouvais rien d’autre que quelques chaises, quelques tables et, évidemment, l’indispensable », dira-t-elle beaucoup plus tard à un journaliste. L’arrivée des garçons, cinq ans après, nécessite de nombreux travaux. On construit sur le domaine une ferme des étables pour les vaches et des écuries pour les chevaux. On clôture un hectare de pré pour être utilisé comme pâturage. La maison inhabitée du gardien est aménagée pour abriter les cochons et les poules. La dépendance, qui servait autrefois de grande salle de jeux pour les filles, est transformée en atelier. Sur une partie des terrains on commence à cultiver le blé, le seigle et l’avoine, et une autre partie abrite un verger avec soixante-huit arbres fruitiers et un potager d’un demi-hectare.
Tout au long de leur présence à As, les Sœurs ont tout mis en œuvre pour s’adapter aux défis changeants de l’époque. Mais comme c’était souvent le cas pour des communautés vieillissantes en manque de vocations, les nouvelles normes d’après-guerre en matière d’hygiène, de diététique, de pédagogie et de logement les ont finalement contraintes à léguer leur œuvre à une direction laïque, qui était sans doute plus apte à faire face aux exigences de la modernité. Comme on l’a vu, leur esprit n’en a pas moins continué à exercer son influence bénéfique.
Il nous reste une dernière chose à rapporter, et pas la moindre. On l’oublie souvent, mais les communautés religieuses en Belgique ont joué un rôle vital dans la survie d’enfants juifs pendant l’occupation nazie. Voués à l’extermination dans les camps de la mort comme leurs parents, ces enfants ont souvent trouvé un abri dans des couvents ou chez des particuliers, grâce à l’intervention héroïque de réseaux juifs, chrétiens et communistes. Les Filles de la Charité d’As étaient, elles aussi, au rendez-vous de l’histoire.
Nous savons maintenant que la décision finale de cacher oui ou non des enfants juifs, revenait exclusivement à la Sœur servante[2]. La demande soudaine devant laquelle elle se trouvait quand on lui amenait des enfants à cacher, exigeait une réponse immédiate et discrète : il fallait surtout limiter le nombre de personnes à être mis au courant.
On aimerait aborder ici une poignée de sujets à la fois : l’extraordinaire indépendance d’esprit des Congrégations féminines, tellement négligée dans une certaine historiographie masculine ; la dynamique communautaire qui porte les forces individuelles à se surpasser ; ou le rôle parfois incroyablement exigeant des Sœurs servantes, qui devaient être à la fois mère, gardienne de la règle, conseillère spirituelle, organisatrice et, en cas de guerre et d’occupation, résistante. Mais l’espace nous manque. Limitons-nous à l’action concrète de Gabrielle De Backer, Sœur servante d’As pendant ces années noires. Il nous reste une photo d’elle, prise par des pilotes américains à Noël 1944.
Les quatre bâtiments qui composaient la colonie pendant l’occupation nazie, étaient reliés sous terre par un maillage de tunnels en brique. Tandis que les autres enfants se rendaient à la messe, Sœur Gabrielle allait chercher les nouveaux venus juifs, soi-disant pour un « petit boulot ». En réalité, elle les accompagnait personnellement dans les tunnels, d’abord une bougie à la main, ensuite dans l’obscurité totale, pour les rendre familier avec leur cachette future. Quinze garçons juifs purent ainsi échapper à une mort certaine.
Christof pour le Service des Archives de la Province Belgique-France-Suisse
Toutes les photos ©Pascal Tognon
[1] Pascal Tognon, Kolonie de Beeckman, Asch en haar kinderen 1927-2003 (Pascal Tognon, 2020)
[2] Suzanne Vromen, Hidden Children of the Holocaust. Belgian Nuns and Their Daring Rescue of Young Jews from the Nazis (Oxford University Press, 2008/2010)